Mwin Hamza Badjoko : «Seul un gouvernement émanant du peuple congolais est à même de résoudre la crise dans l’Est du pays»

Le Potentiel – le 10 juillet 2012

 

La situation de guerre qui prévaut dans l’Est de la République démocratique du Congo ne laisse pas indifférents des compatriotes qui s’insurgent contre le projet de la balkanisation du pays. Dans un entretien avec Le Potentiel, Mwin Hamza Badjoko, membre de la majorité populaire, donne son point de vue sur cette question. Ci-dessous l’entretien.

L’Est du pays, précisément la province du Nord-Kivu, s’est de nouveau embrasé depuis avril 2012. Qu’est-ce qui justifie cette répétition des conflits armés dans cette partie du pays ?

 

Comme vous venez de le souligner, ce n’est pas la première fois que cette partie de la République est embrasée. C’est effectivement un conflit à répétition qui est même déjà assez huilé. Comme vous pouvez le remarquer aussi, c’est chaque fois qu’il y a de grands enjeux au niveau du pays que les hommes armés dans l’Est du pays sortent la tête pour montrer qu’ils doivent être partie prenante dans la situation politique. Pour comprendre ce qui se passe là-bas, il faut revenir à l’entrée à Kinshasa de l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL). Cette structure politico-militaire était constituée, comme tout le monde le sait, des hommes de troupes de Kagame et de Museveni. Ceux-ci ne s’en cachent pas d’ailleurs, ils le répètent à qui veut les entendre.

 

Les parties prenantes ont signé l’Accord de Lemera que nous ne cessons d’ailleurs de dénoncer. Il est question notamment, pour la RDC, de laisser 300 km au Rwanda à partir de sa frontière. Après l’installation au pouvoir de Laurent-Désiré Kabila à Kinshasa, il y a eu rupture, vers le 26 juillet 1998, entre l’aile tutsi d’origine rwandaise qui a amené en RDC des tutsi rwandais, notamment James Kabarebe qui a été chef d’état-major général des Forces armées du Congo (FAC). A partir de là, une nouvelle guerre s’est installée au Congo. C’était avec le Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD) qui s’est transformé en RCD/Goma. A l’intérieur de ce mouvement, il y a eu l’aile Mutebusi, puis celle de Laurent Nkunda qui a créé le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP). Viendra le tour de Bosco Ntaganda qui a repris le flambeau du CNDP. Et aujourd’hui, nous avons le Mouvement du 23 mars (M23). Vous comprenez que c’est la suite d’une logique dans laquelle on déverse toujours des officiers d’origine rwandaise dans l’armée nationale congolaise. Et chaque fois, ces militaires ne veulent jamais quitter cette partie de la République. Leur stratégie, c’est faire déverser l’intérieur du Congo des groupes et groupuscules de gens. Ils créent alors la diversion en provoquant une mutinerie pour appeler le gouvernement à la négociation. Nous avons trois forces en présence : le Rwanda, la RDC et la communauté internationale. Ces forces font en sorte que, pour résorber la crise rwandaise, il faut la transposer en RDC. C’est ainsi que nous constatons que, depuis tout ce temps-là, rien ne réussit. Rappelez-vous qu’il fut un moment, la population de cette partie du pays s’était attaquée à la Mission des Nations unies au Congo (Monuc) au regard du laxisme de celle-ci en laissant les Rwandais intervenir sur notre territoire national. Et depuis lors, la stratégie a changé, parce que, depuis 1996, c’est le Rwanda qui intervenait avant même les opérations militaires. A l’époque, il y avait le président Bizimungu qui avait dit qu’il fallait revoir les frontières de Berlin héritées de la colonisation. Discours relayé par la communauté internationale, l’ONU et même le Conseil de sécurité des Nations unies. Rappelez-vous du Plan Cohen et la prise de position de Nicolas Sarkozy, alors président de France, qui disait que le Congo doit partager ses ressources naturelles avec les pays voisins. Malheureusement, pour le Congo, le pouvoir en place est toujours inféodé au Rwanda. C’est ainsi que ce pouvoir de Kinshasa n’a jamais défendu cette partie du pays, n’a jamais dénoncé publiquement cette sorte d’occupation de ce territoire malgré que nous, nous nous débattons pour démontrer que la tricherie est de mise de ce côté-là.

 

On parle de plus en plus de la balkanisation de la RDC qui est, d’ailleurs, un vieux projet. Pensez-vous que le gouvernement congolais, qui a pris conscience de ce morcellement du Congo, peut facilement se libérer de l’emprise de la communauté internationale et du Rwanda ?

 

Vous devez d’abord vous rendre compte que le gouvernement de Kinshasa est controversé de par sa légitimité. Ce n’est pas un gouvernement issu de la majorité populaire. Pour nous, nous considérons que ce gouvernement n’a pas de légitimité. Vous comprendrez que le président Kabila est aussi l’objet de contestation de la légitimité. Il en est de même de l’Assemblée nationale. La communauté internationale, connaissant la fragilité de ce gouvernement, est prête à imposer n’importe quoi à celui-ci. Parce qu’elle sait très bien que cet Exécutif national n’a pas la légitimité du peuple congolais et que tous ses membres ont tous été nommés par le président de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni), Daniel Ngoy Mulunda. Les stratèges de ces trois forces en présence étant conscients de cela, veulent peut-être arriver à réaliser la balkanisation du pays, sachant que Kinshasa est incapable de contrecarrer ce projet. Et qu’il ne peut pas contenir les forces soutenues par le Rwanda. Aujourd’hui, au Conseil de sécurité, tout le monde reconnaît que c’est le Rwanda qui est derrière le M 23. Si cela est vrai, comment le gouvernement de Kinshasa parle d’une mutinerie au sein de l’armée congolaise. Comment expliquer que cette mutinerie soit soutenue par l’armée rwandaise ? Il est établi que des combattants du M 23 ont été formés au Rwanda. Donc, ce sont des forces rwandaises qui attaquent la RDC. Et n’ayant pas de légitimité, de force nécessaire, le gouvernement ne peut plus présenter les choses de cette façon-là. Concernant cette crise, la plus grande difficulté pour la résoudre, c’est Kinshasa dans la mesure où la plupart des hommes qui servent le régime sont venus de ce pouvoir du Rwanda. Ce qui donne le caractère de cette fragilité du pouvoir de Kinshasa pour sa dépendance vis-à-vis de celui de Kigali. Le Rwanda connaît très bien toute l’ossature du fonctionnement de l’armée congolaise qui a été dirigée par James Kabarebe. Et la plupart des généraux venus de tous les mouvements rebelles savent tout ce qui se passe, et je sûr qu’ils jouent un double jeu. Ils fragilisent les troupes de l’armée congolaise pour renforcer celles de Kigali parce que le pouvoir rwandais cherche effectivement à occuper cette partie du pays en déversant les Rwandais dans le Kivu devenue ainsi une sorte de colonie de peuplement. Et avec l’armée qu’ils sont en train de constituer, un jour, ces gens vont se déclarer indépendants pour réaliser le projet de balkanisation du pays.

 

Malheureusement pour eux, la population congolaise, tant de cette partie du pays que de l’ensemble du territoire national, ne veut pas de la balkanisation du Congo. En effet, pour balkaniser un Etat, il faut trois conjonctions : celles du pouvoir politique avec l’armée et la population. Ici, pour le moment, il n’y a pas ces conjonctions car la plupart des Congolais ne se reconnaissent pas dans ces gens qui ont pris des armes qui viennent les attaquer sur le territoire congolais. Automatiquement, la difficulté de suivre la logique de cette balkanisation n’est pas simple. Toutefois, je pense que tout ce qui passe au Kivu ne vise que l’exploitation des ressources minières. Ce, en complicité avec la communauté internationale qui a même préconisé la création d’un marché commun.

 

Quel est le rôle de la communauté internationale à travers les ONG internationales ?

 

Que viennent faire les ONG internationales en RDC ? Elles viennent travailler dans quel contexte ? Est-ce sur le plan de la santé, de l’aide humanitaire, etc. ? Donc, s’il n’y a pas de guerre, il n’y a pas d’aide humanitaire, il n’y a pas tous ces services qui travaillent pour renseigner leurs gouvernements qui les financent. C’est dire qu’ils font des rapports au regard des situations qu’ils vivent dans un pays donné. Ils vont, pour le cas de la RDC, constater la fragilisation du pouvoir pour essayer de proclamer l’indépendance de cette partie du pays. Mais c’est un vœu pieux car cette République ne verra pas le jour.

 

A vous entendre parler, on peut continuer à espérer que l’intégrité du territoire national ne sera jamais remise en cause. Mais quels sont les moyens dont dispose le gouvernement pour barrer la route aux balkanisateurs ?

 

Ce gouvernement de Kinshasa ne peut pas résoudre ce problème parce qu’il est lui-même un problème. Il fait partie du problème. Seul un gouvernement issu des élections libres, démocratiques et transparentes qui serait l’émanation du peuple congolais est à même de le résoudre. Pour le moment, la légitimité qui défaut à ce gouvernement mais qui se trouve de l’autre côté d’Etienne Tshisekedi peut résoudre le problème en très peu de temps. Ce ne serait pas une question de mois, même si nous vivons cette situation de guerre depuis 16 ans. Les uns n’arrivent pas à s’implanter et les autres, avec la complicité de Kinshasa, n’arrivent toujours pas à s’implanter. Comme d’habitude, ils cherchent à négocier toujours dans le but de transplanter les populations rwandaises en RDC. Kinshasa refuse de transporter les chars dans l’Est du pays mais les a utilisés contre sa population qui réclamait la vérité des urnes à Kinshasa. Il en a été de même dans les provinces du Bas-Congo et de l’Equateur où les chars ont été utilisés respectivement contre les adeptes de Bundu dia Kongo et des Enyele. Mais lorsqu’il s’agit de l’Est du pays, une complicité s’établit entre Kigali et Kinshasa dans le cadre de l’accord de Lemera. Tant que ces gens resteront au pouvoir, il n’y aura aucune solution.

 

Pour résoudre cette crise en RDC, il faudrait, coûte que coûte, rétablir la vérité des urnes, la seule qui peut redonner la légitimité aux dirigeants du Congo. Et c’est cette légitimité qui va régler ce problème en très peu de temps. Des milliers de Congolais peuvent être prêts à s’engager dans la résolution de cette crise s’ils se reconnaissent dans le pouvoir qui les dirige.