QUELQUES OBSERVATIONS SUR LE PROCESSUS ELECTORAL EN COURS
– L’éclatement et l’éparpillement des forces politiques
– Des élections à un seul tour et une opposition divisée
– Une campagne électorale sans consistance
– Les manifestations pré-électorales, comme un prélude à la contestation des résultats des élections
– L’unité du Congo, enjeu de l’élection présidentielle du 28 novembre 2011
L’éclatement et l’éparpillement des forces politiques
Selon Jean-Claude Willame, à partir des premières informations chiffrées en provenance du site de la CENI et des développements politiques récents, il est possible d’ores et déjà de tirer quelques enseignements qui ne préjugent évidemment en rien des résultats finaux des élections.
1. Comme en 2006, c’est d’abord l’éclatement et l’éparpillement des forces politiques qui semblent prévaloir. Plus de 18.000 candidats se sont enregistrés à la députation contre environ 10.000 aux élections précédentes. Ces candidats appartiennent en majorité à 417 partis politiques reconnus par le ministère de l’intérieur en août 2011, contre 203 partis en 2006. Dans la liste des dix principales formations, ce sont les candidatures indépendantes qui sont les plus nombreuses (541): en 2006, le nombre de candidats indépendants s’élevait à 702. Cette persistance de l’éclatement du paysage politique et cette multiplicité de candidatures indique que chacun se met en position d’attente et de négociation par rapport au(x) vainqueur(s).
2. Les candidats députés du parti soutenant la candidature de Joseph Kabila, lequel se présente toutefois comme « candidat indépendant », sont les plus nombreux et se présentent un peu partout dans le pays (494). À ces candidatures, il faut cependant ajouter celles des formations qui ont déclaré publiquement apporter leur soutien à l’actuel président (PALU: 466 candidats et AFDC, parti créé par Modeste Bahati après son éviction de la questure du Sénat: 383). On pourra enfin y ajouter les candidatures du MSR de Pierre Lumbi, conseiller spécial du chef de l’Etat depuis 2010, du parti ECT de Félix Kabange Numbi, ministre katangais et proche du président Kabila, et enfin celles de ce mystérieux parti PPPD, dont le responsable en titre est le professeur kinois Ngoma Binda et sur lequel figure le candidat Léonard She Okitundu, membre co-fondateur du PPRD, ancien ministre et ancien directeur de cabinet du président Kabila. Il ne faut pas exclure ici que la stratégie de l’entourage présidentiel a pu consister à encourager la multiplicité de listes de formations susceptibles de donner au président une majorité confortable au Parlement.
3. Le nombre de candidats d’une opposition qui se présente, rappelons-le, en ordre dispersé, est presque deux fois inférieur à celui des formations soutenant en principe le président de la République (1.169 contre 2.507): à l’exception de l’UNC de Vital Kamerhe qui vient en quatrième position et qui présente 445 candidats à travers le pays, l’UDPS d’Etienne Tshisekedi et l’UFC de Kengo wa Dondo totalisent 724 candidats. Le MLC de Jean-Pierre Bemba ne figure pas dans la liste des dix premières formations en termes de nombre de candidats.
4. Pour ce qui regarde l’élection présidentielle, il n’y a plus que 11 candidats contre 33 en 2006. Une raison réside peut-être dans le fait que le cautionnement électoral pour les candidats à la présidence est passé de 50.000 $ à 100.000 (non-remboursables). Quatre des onze candidats sont des nouveaux venus, dont un député transfuge du MLC, lequel ne présente pas de candidat et n’en a endossé aucun (Adam Bambole); un avocat du barreau de Kinshasa (Jean Andeka); un médecin vétérinaire de Lubumbashi travaillant comme consultant en Afrique du Sud (François Nicéphore Kakese); un pasteur, ancien administrateur-délégué de la Compagnie maritime congolaise qui se présente comme un «candidat messianique» (Josué Alex Mukendi). En plus du président Kabila, trois candidats s’étaient déjà présenté en 2006 dont Oscar Kashala qui, depuis sa défaite, avait disparu des circuits politiques, Mbusa Nyamwisi, un Nande du Nord Kivu qui a été démis récemment de ses fonctions de ministre de la Décentralisation, et le fils de l’ex-président Mobutu, limogé lui aussi (mars 2011) de son poste de vice-premier ministre du gouvernement Muzito.
Sur base des résultats figurant sur le site de la CENI, les seuls candidats présidentiables pouvant inquiéter J. Kabila sont Vital Kamerhe et Etienne Tshisekedi. Le premier, ancien directeur de campagne du président qui s’est séparé de lui en décembre 2010, présente un nombre important de candidats à la députation dans toutes les régions du Congo et pas seulement au Kivu où il bénéficie d’une plus large popularité. Quant à Etienne Tshisekedi, vieille figure emblématique de l’opposition au Congo-Zaïre qui ne s’est pas présenté aux élections de 2006, il joue, à l’instar de Jean-Pierre Bemba dont il a recherché en vain le soutien, la stratégie de la tension et de l’ambivalence. Son nom mythique mobilise les foules, mais aussi les enfants des rues connus sous le nom de « pomba » (jeunes qui pratiquent les arts martiaux) ou « kuluna » (jeunes bandits le plus souvent armés de couteaux et de machettes). Rejetant tous azimut les travaux de la CENI en matière d’enrôlement des électeurs et de dépôts des candidatures, il a lui aussi présenté des candidats dans tous les coins du pays, bien qu’un peu moins que Vital Kamerhe.
Des élections à un seul tour et une opposition divisée
Selon certains observateurs, la préférence de Kabila pour le tour unique part d’une conviction: «Ils (l’opposition) seront d’accord pour dire qu’il faut que je parte, mais pas sur celui qui doit me remplacer». C’est à partir de cette situation – courante en Afrique – que l’on produit annuellement quantité d’articles de presse sur le thème «le président sortant n’est pas sorti et c’est la faute de l’opposition qui est divisée».
En réalité, tout cela est faux. Le résultat final est que la fameuse «division de l’opposition» sert finalement à faire accepter l’inacceptable. Parce que cette division, décrite comme une erreur tactique des intéressés, est présentée comme un fait interne à l’opposition même, imputable à elle-même. Bref, ils ont voulu leur malheur… et cela permet d’oublier commodément ce que l’on a fait pour les y aider. La «victoire du Président X face à une opposition divisée» empêche que l’on parle de certains autres détails.
En effet, on ne parlera pas, à propos de la RDC, d’une «victoire de JKK, qui a fait mettre sur pieds une CENI totalement politisée où ses partisans sont majoritaires, l’a laissée dresser des listes d’électeurs qui, faute de recensement, n’ont ni queue ni tête, a fait modifier la Constitution pour favoriser sa victoire, etc…». L’insistance mise sans cesse sur l’«opposition divisée» ou – ce qui revient au même – sur «l’impossibilité d’un accord en vue d’un candidat commun» comporte un sous-entendu, un présupposé non-dit et surtout non-démontré: l’affirmation que l’opposition devrait être unie, que ce serait possible, que seules de mauvaises raisons empêche la réalisation de cet objectif, qu’en fait ce serait facile, n’était-ce l’égoïsme des candidats.
En soi, l’idée d’une candidature présidentielle unique de l’opposition est parfaitement valable. Mais elle ne peut aboutir que si elle s’appuie sur une idéologie, un programme de gouvernement, qui prenne clairement le contrepied de l’actuel. Faute d’un programme alternatif, il ne reste rien à discuter, si ce n’est le partage des postes une fois le pouvoir conquis. Autrement dit, l’idéologie, dans laquelle on pourrait puiser l’unité, étant écartée, il ne reste que l’individuel, riche surtout en différences qui séparent. Trop de différences, précisément, opposent Kamerhe, Tshisekedi et Kengo: l’âge, le parcours, les réseaux, la diaspora, les guerres multiples, l’influence des pays voisins… Difficile donc dans ces conditions de s’accorder. Le seul à pouvoir se satisfaire de la situation est Joseph Kabila. Le président sortant apparaît sûr de sa réélection, grâce à un atout majeur: le scrutin à un seul tour, qui ne permet plus à l’opposition de se rassembler au deuxième tour. L’insistance sur la division de l’opposition ne sert donc qu’à préparer l’opinion à ne pas être surprise de la réélection de JKK. Cependant, rien n’est jamais joué à l’avance dans une élection.
D’abord, l’élection à tour unique pourrait se révéler une arme à double tranchant. Car la description «d’un côté JKK, de l’autre dix candidats» repose sur l’idée erronée qu’il y aurait d’un côté les partisans de la majorité, depuis toujours décidés à voter Kabila et de l’autre l’électorat de l’opposition, qui se fragmenterait entre les dix autres. Ces dix autres prendront des voix partout, y compris parmi ceux qui ont voté Kabila en 2006.
Il y aura trois candidats « poids lourds » dans l’opposition le 28 novembre prochain pour disputer le siège au président Kabila : Etienne Tshisekedi, qui possède une longueur d’avance dans la mobilisation populaire, Vital Kamerhe, qui a su s’imposer dans le paysage politique de l’opposition en quelques mois et Léon Kengo, qui est venu jouer le trouble-fête de dernière minute.
Le poids de Kamerhe repose avant tout sur l’idée qu’il sera suivi par les électeurs des régions populeuses de l’Est dont la déception est avant tout d’avoir voté en 2006 pour le «candidat de la paix» et d’en avoir été récompensés par la poursuite de la guerre et en particulier par une alliance avec le Rwanda qui, à leurs yeux, est une monstruosité proche de la haute trahison.
Tshisekedi est implanté depuis longtemps et ses tournées triomphales ont montré qu’il a du succès, même en dehors de Kinshasa et du Kasaï, et même chez les jeunes. Est-ce un succès de curiosité ou un succès politique? C’est ce que l’on ne saura qu’au moment du vote. Un défi l’attend pourtant à l’Est de la RDC: mobiliser la population sur des terres qui ne sont pas acquises à l’UDPS. Originaire du Kasaï, Etienne Tshisekedi n’est pas « un homme de l’Est » et doit rivaliser avec Vital Kamerhe très
bien implantés au Nord et au Sud-Kivu. Il compte pourtant sur deux atouts pour s’attirer les foules à l’Est. Le patron de l’UDPS compte d’abord « surfer » sur la vague de mécontentement qui gronde dans la région depuis 2008. Pour de nombreux habitants de la région, le bilan sécuritaire de Kabila est largement négatif et Tshisekedi espère bien capitaliser le ras-le-bol de la population. Un bémol cependant: il a sur la conscience des déclarations et même des déplacements favorables au Rwanda et aux «rébellions» pro-rwandaises.
Kengo wa Dondo, en tant qu’ancien de l’administration Mobutu, pourrait avoir une audience auprès de ceux qui ont gardé une certaine sympathie pour cette époque. Par exemple en Equateur où il ne se heurtera pas à la concurrence de Bemba.
On en revient là à l’hypothèse dite parfois du «triangle nucléaire» ou du «carré magique» lorsqu’on ajoute un quatrième candidat, qui consiste à dire que ce candidats prendront tant de voix à Kabila que celui-ci arrivera fatalement second… donc perdant.
Une campagne électorale sans consistance
Si on fait un pré-bilan de l’actuelle campagne électorale, on se rend à l’évidence que les acteurs politiques mènent une campagne électorale sans consistance. Il est un fait indéniable que cette campagne électorale a débuté sous haute tension et dans un climat d’intolérance politique.
On assiste à des provocations, à des invectives contre l’un ou l’autre candidat, à des polémiques stériles, des slogans creux comme si l’on avait affaire à des «hommes miracles», à des «personnalités messianiques», à des «programmes» à l’emporte-pièce et à des annonces pour la consommation extérieure. Tout le bla-bla actuel ressemble effectivement à une coquille vide. Ce qui est dramatique est que l’on est en train de passer à côté de la plaque, en évitant les véritables enjeux de ces élections 2011 pour faire de la RDCongo un Etat uni, fort et prospère.
Le premier véritable enjeu de ces élections est de construire un véritable Etat de droit. Un Etat où les libertés individuelles et d’associations sont reconnues et respectées et le droit à la différence est accepté. Le chemin qui mène à cet Etat de droit n’est rien d’autre que le fait de disposer des institutions nationales, républicaines et dépersonnalisées. On a beau crier être démocrate mais tant qu’il n’existera pas «d’institutions dépersonnalisées», ce serait de la démagogie. La lutte contre l’impunité, la corruption en dépend.
Le deuxième enjeu est de savoir comment transformer notre économie qui dispose de tous les atouts majeurs pour faire de ce pays un pays émergent. C’est bien beau d’annoncer des théories, mais il faut entrer dans les détails afin que l’on sache à quelles ressources on fait allusion pour opérer des «miracles». Le trafic illicite de nos minerais ne constitue nullement un fait divers. C’est une réalité. Mais comment arrêter l’hémorragie financière dans les secteurs des mines? Que dire de l’agriculture, soubassement de toute économie nationale? Un secteur aujourd’hui réduit à un «domaine philanthropique », où l’on croit révolutionner les choses en procédant par des dons, une approche qui démobilise et pas du tout porteuse d’espoir. Oui, les Congolais sont assis sur «un trésor» mais aucune volonté politique ne les amène à labourer la terre pour voir ce trésor qui y est caché. Il faut que la question soit débattue au cours de cette campagne électorale pour amener le peuple congolais à quitter le monde des illusions pour celui de la réalité. Hélas! Les caravanes motorisées, la distribution des tee-shirts, les libéralités insignifiantes pour la libation, les mélodies électorales sont en train de supplanter un sujet si important dans la gestion d’un pays moderne. L’on ignore superbement les raisons fondamentales qui ont provoqué les «guerres d’agression» que la RDC a connues, alors qu’elles ne visent qu’à contrôler les richesses congolaises pour autant que la classe politique congolaise a montré jusqu’ici des insuffisances que le pays a été transformé en un véritable eldorado. L’économie échappe au contrôle de Kinshasa.
Le troisième enjeu est le fait que la «légitimité» de tout pouvoir émane du «souverain primaire», c’est-à-dire du peuple, plaçant l’homme au centre de toutes les actions de l’Etat, car il mérite considération, respect et dignité. On ne peut qu’être interpellé, si l’on est candidat aux élections 2011, devant ce tableau piteux de l’IDH (Indice du développement Humain) classant la RDC 187ème sur 187 pays au plan du développement humain. Quelle est la politique sociale du pays? Quelle est la politique salariale en RDC en tant que pilier de toute politique nationale de développement? Que signifie la «Sécurité sociale»? Des interrogations pertinentes qui doivent inciter à un débat fructueux au cours de cette campagne électorale.
Le problème n’est pas celui de se faire élire absolument, mais celui de savoir «garder dignement la couronne». Pour y parvenir, il faut connaître les véritables enjeux des élections 2011. Le contraire conduirait le peuple congolais vers la catastrophe.
Les manifestations pré-électorales: un prélude à la contestation des résultats des élections
Le climat dans lequel la RDCongo s’achemine vers les élections prévues le 28 novembre fait craindre le pire. La campagne électorale a déjà été entachée par de nombreuses atteintes aux droits de l’homme: manifestations de l’opposition durement réprimées, incitations à la violence, opposants arrêtés, journalistes sous pression, apparition de ce qui ressemble à des milices de jeunes partisans nouvellement recrutés… le tout dans un climat d’impunité. Il y a de quoi s’alarmer.
A peine sortie de deux guerres (1996-1997, 1998-2003) qui ont fait de 2,5 millions à 5,4 millions de morts selon les estimations, la RDCongo pourrait sombrer dans un nouveau cycle de violence, à l’issue des élections législatives et présidentielle. « Un scénario à l’ivoirienne n’est pas du tout invraisemblable », avertit Pascal Kambale, membre de l’ONG Open Society Initiative for Southern Africa (OSISA). Sur les 11 candidats à la présidentielle, deux d’entre eux monopolisent la campagne électorale, qui a officiellement débuté le 28 octobre. Au point que celle-ci est en passe de virer au duel entre le président sortant, Joseph Kabila, 40 ans, et l’opposant historique Etienne Tshisekedi de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), 78 ans. Or, l’un comme l’autre semblent convaincus de leur victoire. A Etienne Tshisekedi, qui avait déclaré être « sûr de gagner à 100% » les élections, Joseph Kabila a rétorqué: « Quelqu’un est sûr de gagner les élections à 100% ? Je ne sais pas, mais moi je suis certain que je ne vais pas les perdre ». Un échange qui est de nature à nourrir les craintes. « Si on continue comme ça, les résultats des élections seront probablement contestés et la confrontation politique débouchera sur une forme violente, avec une démonstration de force dans la rue comme en Côte d’Ivoire », juge Pascal Kambale.
L’opinion générale africaine et congolaise en particulier sait que, d’ordinaire, les présidents en exercice s’arrangent toujours pour truquer les élections et se faire réélire. Par expérience, ils sont rares les présidents africains qui organisent des élections transparentes à même de leur faire perdre le pouvoir. Aussi, beaucoup de congolais savent que l’on ne peut diriger ce pays sans l’aval de la «communauté internationale» qui, souvent, impose «ses hommes» à la tête des pays africains.
Par conséquent, si l’élection présidentielle aboutissait à reconduire Kabila pour un nouveau mandat, il n’y aura qu’une minorité dans le monde et presque personne au Congo pour croire qu’il le devra à des élections «libres, transparentes et démocratique».
La question n’est pas le scepticisme, mais bien la manière dont il se manifestera. Des manifestations violentes et une répression tout aussi violente sont à craindre.
Enfin, il y a ce dont on ne parle que rarement: les élections législatives, qui ne donneront pas forcément un pur décalque de l’élection présidentielle. En particulier, une victoire de Kabila à la présidentielle pourrait fort bien s’accompagner d’une défaite aux législatives. Il se trouverait dès lors face à une majorité, donc à un gouvernement, qui lui serait hostiles. Là aussi, on se trouverait devant des risques de crises à répétition qui pourraient déboucher sur des troubles graves.
Conscient de cet état de chose, les opposants congolais prépareraient un matelas de contestation des résultats des prochaines élections. Et la stratégie est simple: dénoncer toutes les tentatives de tricheries et mettre à la place publique toutes les maladresses du pouvoir et de la CENI. Multiplier les manifestations de rue et pousser le pouvoir à la faute en vue de le discréditer dans l’opinion tant interne qu’externe. Jusque là, cette stratégie réussit bien à l’opposition congolaise qui multiplie des actions des rues notamment à Kinshasa préparant ainsi les esprits à la contestation.
L’opposition a intérêt à se présenter au peuple congolais comme victime – même comme martyr: l’insistance est fréquemment mise sur le fait que «le sang a coulé» – du pouvoir et de la CENI. L’opposition développe plutôt un discours émotionnel à même de susciter la haine du peuple contre le pouvoir en place qu’une réelle argumentation.
La situation risque d’être très compliquée après les prochaines élections présidentielles. La victoire de Joseph Kabila risque de laisser place à une vague de contestation qui sera difficile à contenir. L’opposition congolaise a déjà fait montre de sa capacité mobilisatrice notamment dans les villes de Kinshasa et Lubumbashi. Goma, Bukavu, Mbuji-Mayi et Kananga ne manqueront pas de soutenir un quelconque soulèvement politique de l’opposition. Un mot d’ordre de l’opposition suffirait pour jeter des nombreux Congolais dans les rues et paralyser l’action gouvernementale. Ce qui va pousser le pouvoir à durcir éventuellement le ton en réprimant et céder ainsi place à des confrontations politiques aux conséquences fâcheuses.
Si au centre du pays, à l’Ouest et à Kinshasa la résistance pourra être politique, il n’en sera pas nécessairement ainsi pour l’Est où persistent encore des groupes armés et milices. De ce point de vue, certaines rumeurs poussent à croire que le pouvoir en place s’organiserait déjà pour étouffer, dans l’oeuf, toute tentative de résistance armée à l’Est. La présence du colonel Kakolele avec un noyau des militaires ex-CNDP dans la région du Nord-Kivu s’inscrirait dans le sens de ce rôle de gendarme en vu d’empêcher tout soulèvement militaire dans la contrée.
L’unité du Congo, enjeu de l’élection présidentielle du 28 novembre 2011
Le bilan du président sortant n’est pas bon. La réalisation des cinq chantiers majeurs (infrastructures, emploi, accès à l’eau potable et à l’électricité, éducation, santé) dont il avait fait son programme lors de l’élection de 2006 est loin d’être achevée. La démocratie congolaise en est toujours à balbutier et, pendant le quinquennat – pour se limiter à cet aspect de la vie publique – a connu de multiples et graves entorses commises à l’encontre du respect des libertés publiques, les meurtres de journalistes et de représentants d’ONG étant nombreux (l’assassinat de Félix Chebeya reste encore impuni).
L’exploitation des richesses naturelles du Congo continue, comme par le passé, à être soit confiée (bradée) à des multinationales soit réservée par copinage à un petit cercle de profiteurs, et ne contribue que très imparfaitement à l’amélioration des finances publiques. Une véritable agriculture vivrière nationale est inexistante, la protection de la forêt du bassin du Congo n’est pas prise au sérieux, et la paix au Kivu est loin d’être revenue à cause de la faiblesse insigne de l’Etat congolais. Bref, on a bien du mal à répondre à la question de savoir en quoi, depuis 2006, la vie quotidienne des Congolais, se serait améliorée.
La situation au Kivu ne laisse pas d’inquiéter : aux problèmes récurrents (surpopulation, litiges fonciers, absence d’affirmation de l’Etat) s’y ajoutent ceux provoqués par Kagamé qui vient d’annoncer son refus de reconnaître comme nationaux les réfugiés rwandais non retournés au Pays avant la fin de l’année 2011. Parmi eux il y a aussi des FDLR des militaires ex-CNDP de Nkunda que l’armée congolaise, peu fiable, ne parvient pas à éradiquer.
Toutefois, après la modification constitutionnelle de janvier 2011 permettant l’élection du président à la majorité simple après un seul tour de scrutin, il y a tout lieu de penser que Joseph Kabila, bénéficiant des relais de l’administration et de l’appui des onze gouverneurs de provinces, tous PPRD, ainsi que du soutien, discret, de la « communauté internationale » se succédera à lui-même, face à une opposition émiettée regroupant dix candidats, sans toutefois avoir la certitude que les provinces qui avaient assuré son élection en 2006 (Katanga, Maniema, les deux Kivu) lui reconduisent une fois encore leur soutien.
Parmi les opposants, Tshisekedi, vieux cheval de retour, n’a pas d’avenir, ni pour lui-même, ni pour son pays. Quant à Vital Kamerhe, bien qu’honnête et compétent, et à Kongo wa Dondo, président respecté du Sénat, aucun d’eux n’a d’assise partisane suffisante pour changer la donne de l’élection présidentielle.
S’il est réélu, Kabila le sera – comme chacun de ses concurrents le serait – avec moins de 50% des suffrages. Se posera alors la question de sa légitimité, qu’il devra chercher dans une majorité parlementaire qui sera difficile à trouver. Le pire serait que l’on voie alors l’opposition tout entière coalisée contre lui et confortée encore par le mode de scrutin proportionnel retenu pour les élections législatives, source potentielle de conflit permanent entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif.
Dans ce cas, il est à craindre une paralysie du fonctionnement normal des institutions, à laquelle s’ajouterait le risque de voir l’opposition refuser le verdict des urnes.
Quoi qu’il en soit, les doutes de l’opposition, déjà formulés, à propos de la régularité des opérations électorales, ainsi qu’un sentiment de frustration résultant naturellement de la défaite, peuvent être un détonateur. Si les politiques n’appellent pas au calme avant le scrutin et conservent une ligne violente comme on l’a vu jusqu’à présent, les affrontements vont s’intensifier après la proclamation des résultats électoraux, et le risque d’embrasement est réel.
Le risque est grand de voir s’enflammer, après l’élection, non plus seulement Kinshasa, mais aussi un certain nombre de provinces, notamment le Kasaï, fief de l’UDPS, peut-être aussi le Kivu, tellement déchiré, voire le Katanga, toujours irrédentiste malgré l’estimé et efficace gouverneur de la province, Moïse Katumbi Chapwe. Ce serait une grande irresponsabilité de l’opposition que d’attiser la haine avec comme seul but de discréditer Joseph Kabila aux yeux de la population et de l’étranger. A ce jeu-là, c’est le Congo qui serait perdant, en proie à l’émeute, avec un président mis dans l’incapacité de constituer un gouvernement avant longtemps et dans l’impossibilité de poursuivre la reconstruction du pays, déjà bien lente, et d’assurer la préservation de son unité, faute, qui plus est, de pouvoir compter, sur des forces de sécurité sûres, parce que composées, notamment au Kivu, par d’ex-rebelles du CNDP mal intégrés. On ne peut croire qu’un tel scénario catastrophe puisse être en train de s’écrire et de se concrétise après ces élections.