Les populations de l’Est de notre pays participent au printemps des peuples soucieux de briser pacifiquement le statut d’ «observateurs» et de «spectateurs» de l’histoire dans lequel les élites politiques et économiques, représentant le système dominant, les enferment. Le printemps tunisien, égyptien, espagnol, portugais et grec est en train de toucher le Congo et les médias kinois en parlent à peine.
Pendant que plusieurs journaux de Kinshasa relayent le message du président de la CENI selon lequel il y aura élections le 28 novembre 2011, la voix des populations congolaises de l’Est du pays décriant l’occupation rwandaise de notre territoire est à peine audible dans les médias kinois.
Les acteurs politiques en parlent à peine. Y a-t-il autocensure à Kinshasa, musellement des médias ou complicité dans cette tragédie que nos populations connaissent depuis plus d’une décennie ?
Ou tout cela à la fois ? Comment pouvons-nous expliquer une certaine apathie dans le traitement de cette question dont dépend, pour une large part, l’avenir de notre pays dans ses frontières héritées de la colonisation ? Et puis, à quel niveau se situe la complicité la plus flagrante ?
Dans un article intitulé « révélations de la marche contre l’occupation rwandaise de Lubero », l’auteur nous met sur la piste de l’une des réponses à cette question quand, traitant du dispositif policier déployé contre cette marche, il écrit : « Le déploiement d’un millier des policiers par la Mairie a démontré que quand il s’agit de dénoncer l’occupation rwandaise du territoire de Lubero, la Mairie ne manque pas des policiers et de logistique de combat. Mais quand il s’agit de protéger les congolais dans leurs quartiers contre les hommes en armes et protéger les centres d’enrôlement, il n’y a pas de policiers et quand il y en a, ces policiers ne sont pas bien équipés. » (Lire l’article sur le site de Benilubero).
Cette phrase rappelle le résumé d’un rapport très fouillé de l’Institut néerlandais pour l’Afrique australe sur la transition congolaise publié en 2006 et intitulé « L’Etat contre le peuple. La gouvernance, l’exploitation minière et le régime transitoire en République Démocratique du Congo ».
Depuis la guerre d’agression livré contre notre pays en 1996 (et même avant), ceux qui gouvernent dans cet Etat (manqué) se dressent contre le peuple. Pire, ils se dressent contre les droits et les libertés de ce peuple reconnus par la Constitution c’est-à-dire la loi fondamentale du pays.
Et l’article ci-haut cité le souligne sans ambages tout en critiquant sévèrement le Maire de Butembo : « La conclusion est que la Mairie de Butembo a choisi son camp, c’est-à-dire, défendre le pouvoir et brimer la libre expression de la population congolaise. En termes techniques, cela s’appelle dictature, autoritarisme, etc. La constitution congolaise défend pourtant la liberté d’expression du citoyen congolais ! »
Au Congo dit démocratique, la dictature et l’autoritarisme se dressent contre la libre expression citoyenne pour conserver « le pouvoir ».
L’Etat (manqué) dressé contre le peuple devient ainsi un recours incapacitant la transformation des « transactions fatales » (dans ces zones minières et agricoles convoitées) en « transactions équitables ».
Tel est le contexte dans lequel les élections dites libres, transparentes et démocratiques risquent de se dérouler dans la partie Est de notre pays.
Ce contexte témoigne par lui-même que les qualificatifs de ces élections dans la partie Est de notre pays participent du galvaudage du concept « élection ».
(Laissées entre les mains des fondateurs du système dictatorial et autoritariste actuel, ces élections seront synonymes d’une action de marketing pour la cooptation des membres du réseau de prédation de l’Etat (manqué).)
Dans ce contexte, les populations exercent leur vigilance au point de créer des espaces d’auto-prise en charge et un système participatif de la gestion de la chose publique aux antipodes du système représentatif actuel. Les Parlements des Populations de Lubero et les autres organisations de la société civile essaient de se mettre debout pour conjurer la fatalité et devenir des acteurs à part entière de l’invention politique. La pluie et la police s’étant mêlées à la marche ne constituent plus pour les associations bubolaises des obstacles infranchissables. Elles notent dans l’article susmentionné ce qui suit : « Quelles que soient les embûches du samedi 21 mai 2011, les associations sans but lucratif et sans coloration politique promettent d’autres actions de grande envergure pour mobiliser la population congolaise contre le génocide en cours. Trop c’est trop ! La population ne peut plus se taire et confier le pouvoir aux gens qui bafouent ses droits élémentaires à la vie et qui sont complices de ses malheurs. »
Le souhait aurait été que cette détermination et cette mobilisation puissent être les choses les mieux partagées au Sud, au Nord, au Centre et à l’Ouest de notre pays !
La détermination et la mobilisation des populations à l’Est de notre pays s’inscrivent dans un contexte général de rejet du système représentatif de gestion de la chose publique tel qu’hérité de l’Occident moderne fondé sur le capitalisme d’Etat.
Deux livres peuvent aider à comprendre que ce système n’a jamais été conçu pour qu’il soit au service des populations d’en bas. Il y a le livre de Barnard Manin intitulé Principes du gouvernement représentatif (Paris, Flammarion, 1996) et celui de N. Chomsky intitulé Futurs proches. Liberté, indépendance et impérialisme au XXIe siècle, Québec, Lux, 2011).
Un grand intellectuel américain du XXe résume l’idée des pères fondateurs de ce système en ces termes : « Les affaires du monde sont du ressort des « hommes responsables », qui doivent « vivre à l’abri du piétinement et des beuglements d’un troupeau en déroute », la population constituée d’ « observateurs ignorants et indiscrets » ayant une « fonction » de « spectateurs », et non de « participants ». » (N. Chomsky, O. C., p. 153)
Le système représentatif est fondé sur l’élitisme (en réseau) et la disqualification de la population assimilée aux « observateurs ignorants et indiscrets ». Les droits et les libertés acquis par cette population au cours de l’histoire du monde ont été le fruit des luttes citoyennes ; le fruit du refus du statut d’ « observateurs ignorants » et de « spectateurs » de la scène politico-économique.
La détermination et la mobilisation des populations à l’Est de notre pays s’inscrivent dans un large mouvement des populations de la base ayant finalement compris que le système représentatif coaché par la ploutonomie est nuisible à la santé publique des citoyens. Ce mouvement parti de la Tunisie et de l’Egypte s’étant à l’Espagne, au Portugal et à la Grèce.
En Espagne, « depuis plus d’une semaine il se passe des évènements inédits, écrit Esteban Diez.
Le peuple se réunit, occupe les principales places publiques dans plus de 60 villes pour dénoncer les manipulations politiques liées au système représentatif pas vraiment démocratique selon eux. » (E. Diez, Censure : les médias ont retardé l’exportation de la « révolution espagnole », sur www.michelcollon.info)
Plusieurs médias congolais pourraient être comparés à leurs confrères français refusant de relayer « la révolution espagnole ». Ils parlent plus de DSK que des questions citoyennes posées par certains pays de l’UE.
En France, « les mass médias se musellent et forment une sorte de néo-censure qui empêchent certains sujets de faire la une des journaux et donc de faire réfléchir la population. » (Ibidem).
Sur cette autocensure et ce musellement, E. Diez émet une autre hypothèse : « Peut-être que sans morts et sans violence l’information n’intéresse pas les médias. En tout cas de la même manière que sur le mouvement espagnol, les médias avaient attendu plus de deux semaines avant de diffuser l’information sur ce qui se passait en Tunisie, en effet face à l’ampleur du phénomène ils n’avaient plus le choix. » (Ibidem)
Il se pourrait que, dans un proche avenir, les médias kinois n’aient plus le choix face à l’ampleur du mouvement qui se dessine à l’Est de notre pays. Ce mouvement est fondé sur un savoir informé aux bonnes sources et partagé dans les Parlements des Populations et sur un réseau social (le site internet de Benilubero). Il est une action qui est en train de conjuguer la volonté d’un peuple meurtri et décidé à s’auto-prendre en charge et le pouvoir que confère la détermination d’agir ensemble. Il tend à transformer la situation des victimes d’une guerre barbare et injuste en celle des acteurs d’une histoire écrite avec la sueur de leur sang.
Il peine à faire tache d’huile. Mais il ira loin dans la mesure où il s’inscrit dans le printemps des peuples du monde décidés à en découdre avec « les petites mains du capital » et autres élites politico-économiques au service du système représentatif de la mort. A l’Est de notre pays, nos populations ont compris que se taire devant la mort semée par ce système, c’est en devenir complice.
J.-P. Mbelu
Published By www.KongoTimes.info