La place de la femme au cœur de la problématique de la criminalité sexuelle en contexte de guerre
Mathilde MUHINDO MWAMINI, Directrice du Centre OLAME, Bukavu-Sud Kivu, R.D.Congo
1. INTRODUCTION
Nous saluons le rapport Mapping des Nations Unies concernant les violations le plus graves des droits de l’homme et du droit humanitaire international commises entre 1993 et 2003 sur le territoire de la RDCongo. Ce rapport réserve tout un chapitre sur les violences sexuelles dont les femmes et jeunes filles ont été victimes.
La RDC est signataire du statut de Rome ; le paragraphe 2 de l’art. 8 du statut de Rome stipule que le viol, l’esclavage sexuel, la prostitution forcée, la grossesse, la stérilisation forcée, ou toute autre forme de violence sexuelle de gravité comparable peuvent constituer un crime contre l’humanité et un crime de guerre. La jurisprudence du TPIY et TPIR montre ainsi que les violences sexuelles peuvent aussi être considérées comme des actes de génocide, des traitements cruels et inhumains en tant que crimes contre l’humanité. Les outrages à la dignité des personnes et l’esclavage sexuel peuvent être poursuivis comme crimes contre l’humanité, s’ils sont commis en tant que partie intégrante d’une attaque généralisée et systématique contre une population civile. Le droit international des droits de l’homme consacre également l’interdiction des violences sexuelles dans les conflits armés.
2. SITUATION DE LA FEMME.
En RDCongo, la Femme occupe une place importante dans la famille et dans la société en général.
Les Femmes représentent 53 % de la population; non seulement elles sont une force numérique, mais aussi, elles sont devenues, souvent, des piliers économiques dans leurs ménages respectifs.
Toutes les charges de la famille reposent sur les épaules de la femme, surtout à ces moments de crise et de paupérisation généralisée. Les stratégies de survie passent de plus en plus par les femmes, alors que l’absence de développement économique et social a eu pour conséquence l’appauvrissement de la population féminine, notamment celle issue du monde rural et des milieux périurbains. Les femmes constituent, en effet, le moteur de l’économie de subsistance au Sud-Kivu, essentiellement, basée sur l’agriculture et l’élevage; 80 % de la population de la province sont engagés dans l’agriculture, dont 70 % de femmes. Celles-ci sont aussi actives dans le petit commerce, dans les métiers générateurs de revenus, dans l’artisanat ; on les retrouve aussi à la périphérie de l’exploitation minière comme main-d’œuvre surexploitée et mal payée.
3. DES COUTUMES ET PRATIQUES DISCRIMINATOIRES A L’EGARD DE LA FEMME.
Les femmes et jeunes filles sont encore victimes de discriminations liées aux coutumes et lois discriminatoires, victimes des violences physiques et psychologiques, des rapts qui les forcent à des liens matrimoniaux contre leur gré. Notons qu’il existe, malheureusement, des cas inédits des hommes qui se livrent aux viols des mineurs et de petits enfants à bas âge pour soi-disant s’offrir l’occasion de s’enrichir et ou de se guérir du VIH/SIDA. De manière regrettable, la même pratique est signalée lors des cérémonies d’intronisation des chefs coutumiers dans certaines contrées.
La plupart des femmes et des jeunes filles n’ont pas accès à l’éducation et à la scolarisation, contrairement au sort des garçons qui sont plus privilégiés. 70 % de femmes sont analphabètes, elles n’ont pas accès à la terre, à la propriété privée, au crédit bancaire, elles n’ont pas droit à l’héritage et ne sont suffisamment pas représentées dans les espaces de décision. A ceci s’ajoutent les mariages et maternités précoces et d’autres pratiques humiliantes, comme le lévirat.
4. VIOLS ET VIOLENCES SEXUELLES.
Parler viol, chez nous, est un tabou parce que cela touche à la sexualité. Parler publiquement de la sexualité est un phénomène récent en R.D.Congo. En fait, le viol est utilisé dans la région des Grands-Lacs comme une arme de guerre et aussi comme tactique de destruction et de déstructuration de la cellule familiale et, à long terme, la déstabilisation des communautés entières.
Toutes les armées et groupes armés étrangers, des militaires de la FARDC et même des civils ont commis des viols et violences sexuelles à l’égard des femmes et jeunes filles pendant une décennie de guerres et de guerres à répétition. La femme victime de viol est une victime aux aspects multiples, physiques et économiques. Déplacée parmi une population déplacée de guerre, elle souffre d’un sentiment de culpabilité et de stigmatisation. Les femmes et les enfants sont majoritaires. En humiliant les femmes, à travers les viols, les grossesses forcées ou par la dissémination des maladies (IST et VIH/SIDA), l’ennemi tente, intentionnellement ou inconsciemment, d’exterminer toute la communauté, en stimulant le complexe d’infériorité, le manque de respect et la perte de la dignité de soi.
Les chiffres sur les cas de viols en R.D Congo parlent d’eux-mêmes. Selon le rapport de la Monuc en 2009, il y aurait 200.000 cas de viol enregistrés de 1996 à 2009, soit 1.100 cas recensés chaque mois ; l’UNFPA rapporte 8.000 cas de viols enregistrés en 2009 ; l’hôpital de Mpanzi a soigné, depuis 1999 à ces jours, plus de 25.416 victimes de violence sexuelle. Parmi elles, 5.812 cas de fistules. Le Centre Olame a accueilli de 2001 à 2006 5670 femmes et petites filles dont l’âge varie de 5 à 75 ans. 161 cas de grossesses issues de viol. Les viols ont été et continuent à être pratiqués, accompagnés de tortures, des cruautés et d’autres traitements humiliants et dégradants. Souvent, ces viols ont eu lieu en public et en présence des membres de la famille, jusqu’aux viols forcés entre membres de la famille. Les viols sont souvent pratiqués avec introduction dans l’organe féminin d’objets étrangers tels que des bâtons, le bout de fusil, le pilon, etc. Tout cela se solde en plus par des viols collectifs, massifs et répétés planifiés de village en village.
Soulignons que les rares hommes qui ont osé défendre leurs femmes ou leurs filles ont été lâchement abattus. Il existe des témoignages de certaines femmes et jeunes filles qui ont été torturées jusqu’à la mort en s’opposant catégoriquement à ces traitements violents et dégradants. Certaines ont subi des mutilations en plus du viol; d’autres femmes et jeunes filles ont été amenées dans la forêt et ont servi d’esclaves sexuelles. Certaines sont mortes en déportation, loin des leurs. D’autres vont survivre avec handicaps, après leur séjour de captivité ou après de nombreuses opérations des razzias dans les villages.
5. CONSEQUENCES DES VIOLS ET VIOLENCES SUR LES VICTIMES.
Les conséquences des viols touchent aussi bien la victime dans son être physique, moral et psychologique ainsi que toute la communauté. Physiquement, les premiers effets des viols sont les déchirures des parties génitales suivies, souvent, de fistules, contaminations des IST et du VIH/SIDA, séquelles d’actes de tortures, des douleurs surtout au bas ventre, etc. Psychologiquement, les femmes affichent des troubles de comportement, tels que la honte, la peur, la culpabilité, le repli sur soi, l’insomnie, la peur d’être contaminé par le VIH/SIDA, la stigmatisation et le rejet.
Sur le plan socio-économique, à chaque attaque dans les villages, non seulement les aggresseurs pratiquaient des viols systématique des femmes et des filles, mais aussi ils pillaient les effets et les biens du ménage, dont les provisions, l’argent, le bétail, laissant les familles dans un dénuement indescriptible.
La moyenne d’âge des femmes victimes varie de 18 à 45 ans. Rendues vulnérables par le viol, cela a une répercussion sur les activités productrices et, en conséquence, le rendement diminuant, il en résulte une baisse grave du niveau du revenu familial. Beaucoup de familles ont fui l’insécurité dans leurs villages d’origine, laissant leurs champs, leur unique ressource, pour se réfugier en déplacés internes vers la ville ou sa périphérie, plus rassurant, mais pour y vivre dans une situation de précarité et de dénuement criant, car souvent sans ressources, sans logis décent et, plus grave, sans assurance d’une assistance efficiente.
6. LES AUTEURS
Parmi les groupes armés qui continuent à perpétrer ces viols, nous citons le FDLR, le CNDP, la LRA, les MAÏMAI, les soldats indisciplinés des FARDC et même des civils. Des responsables militaires ou de groupes rebelles sont allés jusqu’à cautionner et à légitimer les viols en guise de récompense pour leurs exploits malheureux ou pour punir la population ciblée accusée d’abriter des éléments des camps adverses.
7. ROLE DES FEMMES
Les femmes ont joué le rôle très important de dénoncer la guerre et tous ses méfaits ; elles ont consciemment brisé le mur du silence et ont osé parler de ce qu’elles subissent. Elles ont documenté les cas de viols. Ces femmes ont collaboré avec les organisations humanitaires et internationales pour publier des rapports sur les viols et autres violations de droits humains. Elles ont collaboré avec des services de prise en charge, tels que le bureau d’écoute psycho-sociale des femmes traumatisées, la référence vers le service médical, l’appui juridique à certains dossiers de plainte, les apports à la loi pour la répression des viols. Elles ont manifesté et interpellé les décideurs (autorités politico-militaires et même la communauté internationale), à travers des pétitions, des mémorandums, des déclarations et marches de protestation contre les violences subies pour le retour de la paix. Elles ont pris une part active dans le processus de démocratisation en cours ; elles ont encouragé les femmes à s’impliquer dans la gestion de la chose publique lors des élections de 2006.
8. PERSPECTIVES POUR LA PROTECTION DES FEMMES
Ce travail abattu sur terrain par les femmes elles-mêmes et des regroupements féminins doit être appuyé par le pouvoir public pour garantir leur sécurité et la stabilité du pays et de la région. Pour cela, une attention particulière doit être portée à ce qui suit :
Mettre fin à la présence des groupes armées étrangers et locaux ;
Accélérer la formation de la police et des militaires ;
Mettre fin au règne de l’impunité en mettant en place un tribunal mixte ;
Normaliser les échanges commerciaux sur les ressources naturelles ;
Appuyer des projets de développement durable pour la RDC ;
les initiatives locales d’autopromotion des femmes ;
S’Appuyer utenir les institutions dans le cadre de la bonne gouvernance.