SOMMAIRE
SYNTHÈSE ET RECOMMANDATIONS
HISTOIRE DES FDLR
SITUATION ACTUELLE DES FDLR
LES OPÉRATIONS MILITAIRES MENÉES CONTRE LES FDLR DANS LE PASSÉ
POSSIBLES STRATÉGIES POUR RESOUDRE LA PROBLÉMATIQUE DES FDLR
CONCLUSION
SYNTHÈSE ET RECOMMANDATIONS
La situation humanitaire dans l’est de la République Démocratique du Congo (RDCongo) reste très précaire. Au début de 2014, les déplacées dans le pays étaient 2,7 millions, le plus grand nombre en cinq ans. Plus de 600.000, les nouveaux déplacés en 2013. Alors que, en octobre 2013, la défaite de la rébellion du Mouvement du 23 mars (M23), un groupe armé fomenté et appuyé par l’actuel régime rwandais, avait ouvert de nouvelles voies à la paix, sur l’ensemble du territoire congolais on dénombre encore plus de 50 groupes armés encore actifs. Sans doute le plus important d’entre eux est les Forces Démocratiques de Libération du Rwanda (FDLR). Le nombre de ces rebelles rwandais est compris entre 1.500 et 3.000. Ils procèdent régulièrement à des viols, des extorsions et des meurtres commis généralement contre les populations civiles congolaises. Étant composé aussi par des personnes impliquées dans le génocide rwandais de 1994, ce groupe constitue le principal prétexte de l’ingérence militaire, politique et économique du Rwanda dans l’est de la RDCongo.
Le gouvernement congolais et les Nations Unies ont annoncé que les FDLR seront parmi les prochaines cibles pour les opérations militaires. Ce document fournit une information sur les FDLR et une analyse des dernières offensives militaires contre le groupe. La leçon la plus urgente à tirer de cette histoire est d’éviter une escalade militaire inutile. Les offensives menées contre les FDLR en 2009-2012 sont à la base de centaines de milliers de déplacés et de milliers de morts, et ont conduit à la prolifération des groupes armés d’auto-défense. Depuis la défaite du M23, on constate une pression politique accrue pour attaquer les FDLR. Si des opérations militaires ciblées contre le leadership des FDLR sont probablement nécessaires, toutefois l’on devra également poursuivre des voies pacifiques. Cela pourra comprendre l’exil, dans des pays tiers, des officiers des FDLR qui ne sont pas accusés de crimes de guerre; des sanctions pour les officiers militaires, les hommes d’affaires et les fonctionnaires qui collaborent avec les FDLR; et un redoublement des efforts pour accroître les défections.
La neutralisation des FDLR est l’un des défis les plus urgents de la région. La disparition de ce groupe armé pourrait réduire considérablement les violences faites aux populations civiles, diminuer la menace des milices congolaises avec lesquelles les FDLR collaborent, et ouvrir l’espace pour un dialogue politique au Rwanda.
HISTOIRE DES FDLR
Les FDLR ont été créées par des anciens officiers militaires et des dirigeants politiques du gouvernement de l’ancien président Juvénal Habyarimana. Après le génocide de 1994 et devant l’avancé du FPR, la majeure partie des Forces Armées Rwandaises (FAR) et des différentes milices affiliées avaient traversé la frontière vers le Zaïre, aujourd’hui RDCongo, avec un million de réfugiés. Au Zaïre, l’armée vaincue songe le retour au Pays et se réarme, en manipulant l’aide humanitaire et avec le soutien de l’ancien président zaïrois, Mobutu Sese Seko. En 1995, le gouvernement en exil s’était rebaptisé comme Rassemblement pour le Retour des Réfugiés et la démocratie au Rwanda (RDR), en tant qu’organe politique plaidant pour le retour des réfugiés rwandais.
L’implantation de l’ancien Etat rwandais sur le sol zaïrois avait aggravé les tensions existantes liées à la citoyenneté, au régime foncier et au pouvoir. Ces conflits ont donné lieu à deux guerres régionales.
La première guerre en RDCongo a débuté en 1996 avec une rébellion soutenue par le nouveau
Gouvernement rwandais et d’autres pays de la région, menant à la destruction des camps des réfugiés, le rapatriement d’environ 700.000 réfugiés rwandais et l’ascension de Laurent-Désiré Kabila au pouvoir en République Démocratique du Congo. La plupart des dirigeants du RDR ont fui vers d’autres pays africains ou vers l’Europe, tandis que les rebelles rwandais restants dans la région des Kivus ont pris le nom de Peuple en Armes pour la Libération du Rwanda (PALiR), avec sa branche militaire, l’Armée de Libération du Rwanda (ALiR).
La deuxième guerre en RDCongo (1998-2003) a éclaté lorsque Kabila se brouilla avec ses alliés rwandais et ougandais, qui ont répondu en soutenant plusieurs nouvelles rébellions.
À cette occasion, ALiR a créé une nouvelle aile, ALiR II, basée à l’ouest de la RDCongo et incorporée dans l’armée de Kabila, alors que ALiR I a combattu la nouvelle insurrection dans les Kivus. En 1999, ALiR a massacré des touristes étrangers dans le parc national de Bwindi, en Ouganda, ce qui a conduit les Etats-Unis à le placer sur la liste des groupes terroristes.
Les deux branches d’ALiR ont fusionné en 1999 pour créer les Forces Démocratiques de Libération du Rwanda (FDLR), reconnues officiellement à Lubumbashi en 2000. L’aile armée a été rebaptisée, Forces Combattantes Abacungunzi (FOCA) en 2003.
Pendant ce temps, des conflits au sein de la direction politique des FDLR, qui à l’époque était largement basée en Europe, ont conduit à plusieurs scissions. Le vice-président Jean-Marie Vianney Higiro et le trésorier Félicien Kanyamibwa firent défection pour fonder le Ralliement pour l’Unité et la Démocratie-Urunana (RUD-Urunana). L’aile militaire de l’organisation emboîta le pas et des officiers des FOCA firent défection aussi, pour créer l’Armée Nationale-Imboneza (AN-Imboneza), branche armée du RUD. Depuis la scission, les FDLR ont essayé de réintégrer le RUD, mais sans succès. Plusieurs affrontements entre les deux groupes ont été signalés en 2008.
Deux ans après la scission du RUD des FDLR, le commandant Sangano Musohoke (alias Soki) a fait défection avec un petit nombre de troupes et a fondé les FDLR-Soki, basées en territoire de Rutshuru, au Nord-Kivu. Soki a été tué par le M23 en juillet 2013 et il a été remplacé par le colonel Kasongo Kalamo. Bien que ce groupe ne collabore pas avec les FDLR, les deux groupes ont toutefois concordé un pacte de non-agression.
La dernière faction à se séparer du FDLR est celle du lieutenant-colonel Gaston Mugasa (alias Mandevu), en 2010. En 2012 Mandevu a versé ses 185 combattants dans le M23 et contrôlait une petite zone au nord de Goma, entre les volcans Nyiragongo et Nyamuligira. Suite à la scission au sein du M23 entre Bosco Ntaganda et Sultani Makenga en avril 2013, le colonel Mandevu est disparu. Sources contradictoires affirment qu’il s’est rendu aux FARDC ou qu’il a fui vers la forêt de Bayinyo, à la frontière entre le Rwanda, l’Ouganda et la RDCongo.
Les années entre 2003 et 2009 ont été marquées par des troubles continus dans les Kivus, ce qui a joué à l’avantage des FDLR. En particulier, le sort du groupe a été déterminé par les relations entre la RDCongo et le Rwanda. Avec l’émergence du Congrès National pour la Défense du Peuple (CNDP) de Laurent Nkunda en 2006, le soutien du Rwanda à cette rébellion dans les Kivus a favorisé une alliance de convenance entre le gouvernement de Kinshasa et les FDLR. Cela a donné aux rebelles rwandais une infusion d’armes et accentué leur moral.
Depuis 1998, le PALiR et les FDLR avaient déjà collaboré avec l’armée congolaise et différentes milices locales Maï-Maï, pour contrer le Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD) soutenu par le Rwanda. Cette collaboration s’est poursuivie au cours des rébellions du CNDP et du M23.
Toutefois, les rôles se sont inversés en 2009, lorsque les gouvernements rwandais et congolais
sont parvenus à un accord qui a conduit à l’arrestation de Laurent Nkunda, à l’intégration du CNDP dans l’armée congolaise et au déploiement de troupes rwandaises en RDCongo pour une opération militaire conjointe, «Umoja Wetu» (Notre Unité), menée contre les FDLR. À cette opération, se sont ajoutées d’autres, menées en collaboration avec la Monusco, Kimia II (Silence II) et Amani Leo (paix aujourd’hui). Ces opérations, ainsi que des offensives ultérieures contre les FDLR, ont provoqué la défection de 3.903 soldats des FDLR entre janvier 2009 et avril 2012, environ 60 pour cent de leur effectif total estimé.
SITUATION ACTUELLE DES FDLR
Il existe des estimations différentes à propos de la force actuelle des FDLR. Le Groupe d’experts des Nations Unies estime que le groupe comprend environ 1.000 combattants au Nord-Kivu et 500 au Sud-Kivu, tandis que le gouvernement du Rwanda mentionne un total de 4.000-4.200 combattants. Selon la commission rwandaise pour la démobilisation et la réinsertion (RDRC), les membres des FDLR / FOCA sont 3.000 environ. L’Ong Enough Project propose une gamme de 1.500 à 5.000 combattants, tandis que, selon certains transfuges des FDLR / FOCA et certains fonctionnaires des Nations Unies, ils seraient entre 700 et 800. Les chiffres relatifs au RUD-Urunana / AN-Imboneza sont également divergents. Les Nations Unies et des fonctionnaires rwandais citent environ 300 combattants, tandis que, selon la RDRC, il seraient 1.500. Enough Project propose une gamme de 400 à 600. Selon des sources au sein de l’organisation, les combattants des FDLR-Soki seraient 180-200, tandis que les données offertes par Enough Project font état de 60-100 soldats. Le travail réalisé sur terrain par le Groupe d’affinité nous conduit à croire plus vraisemblables les estimations plus faibles.
Les FDLR / FOCA sont toujours dirigées par le général Sylvestre Mudacumura, qui est à la tête de la rébellion depuis octobre 2003. Les troupes sont divisées en deux secteurs, correspondants au Nord Kivu et au Sud Kivu subdivisés, à leur tour, en sous-secteurs et antennes.
Dirigé par le colonel Pacifique Ntawunguka (alias Omega), le secteur Apollo du Nord-Kivu est déployé à Walikale, Lubero et Rutshuru. Le siège se trouve à Nganga, Walikale.
Le secteur Jakarta du Sud-Kivu, sous le commandement du colonel Mugabonake Boniface
(alias Hagenimana Josué), a son siège à Katasomwa, territoire de Mwenga.
Les FDLR ont une structure relativement différenciée. Le groupe dispose de bataillons spéciaux
pour la protection de ses sièges au Nord et au Sud-Kivu. Il déploie aussi des petit pelotons, dénommés Commandos de Recherche et d’Action en Profondeur (CRAP), qui s’engagent dans la reconnaissance, l’assassinat de cibles de haut niveau, la propagande et le recrutement.
Les Postes d’Intervention Populaires (PIP) sont utilisés pour protéger les dépendants des FDLR et la population hutu et pour organiser une formation paramilitaire obligatoire régulière. Il y a une école de formation militaire dans le Nord-Kivu et un camp similaire dans le Sud-Kivu, créé en 2013 en raison de la difficulté de se déplacer entre les deux provinces.
Malgré sa taille en baisse, les FDLR sont toujours une sérieuse menace pour la population congolaise locale et la stabilité régionale. En 2012, le groupe a tué au moins 282 civils, y compris des femmes et des enfants. D’innombrables autres personnes ont été blessées par les mains des combattants, beaucoup de gens ont perdu leurs maisons et leurs villages ont été brûlés et détruits.
Dans certains endroits, le groupe a assumé le rôle de police et perçoit illégalement des taxes, en arrêtant et en abusant de ceux qui ne parviennent pas à se conformer à ses exigences.
Alors que le groupe n’est pas en mesure de menacer sérieusement le gouvernement rwandais, toutefois il est toujours en mesure d’effectuer des raids dans l’ouest du Rwanda, où la plupart des ressources économiques du pays sont situées. Entre la fin 2012 et mi-2013, les FDLR ont réussi à mener à bien trois attaques sur le sol rwandais.
En ce qui concerne le Rwanda, les FDLR devraient être considérées dans le contexte de sa politique intérieure. Alors qu’elles ne représentent pas une menace stratégique, toutefois, dans la presse et le discours officiel du gouvernement, elles sont considérées comme l’incarnation de l’héritage du génocide rwandais de 1994. Étant donné l’importance de ce génocide dans la mémoire de la société, certains Rwandais considèrent les FDLR comme beaucoup plus qu’un simple défi militaire.
D’autre part, à cause des limites très strictes imposées à la liberté politique au Rwanda et du silence auquel sont soumis opposants et détracteurs, certains opposants au gouvernement considèrent les FDLR comme une organisation légitime. L’exemple le plus frappant c’est la récente alliance annoncée entre le parti d’un ancien Premier ministre rwandais, Faustin Twagiramungu, et les FDLR.
Les FDLR tirent une grande partie de leur financement de l’imposition de taxes aux alentours des mines, tout au long des routes commerciales et à l’entrée des marchés locaux. Compte tenu de l’évolution de l’économie du Kivu au cours des dernières années, une grande partie des revenus des FDLR provient de mines d’or – y compris les zones autour de Kasugho, Mangurudjipa et Mukungwe, même si elle découle aussi du commerce illégal du bois, du charbon de bois et de la cannabis. Néanmoins, son approvisionnement en armes et munitions est limitée, car il dépend des achats au coup par coup auprès d’officiers corrompus des FARDC et des raids menés contre leurs ennemis. Le matériel de communication est également insuffisant.
Les relations entre les FDLR et l’armée congolaise ont oscillé entre une collaboration profonde et l’hostilité ouverte. Chaque fois que le gouvernement congolais s’est senti attaqué par les forces alliées au Rwanda, il a tendu la main aux FDLR pour leur demander une aide.
Après avoir été suspendue, la coopération entre l’armée nationale congolaise et les FDLR a été partiellement relancée en 2012, face à la rébellion du M23. Les deux groupes se sont régulièrement rencontrés et ont échangé des informations opérationnelles; les FARDC ont fourni aux FDLR des armes, des munitions et des instructions, pour les employer contre les combattants du M23. Entre août 2012 et octobre 2013, des commandants des FARDC locales ont coordonné des embuscades et des attaques contre le M23 en collaboration avec les FDLR.
Cette collaboration a diminué en novembre 2013, quand les FARDC ont défait le M23 et ont repris les attaques contre les FDLR dans plusieurs endroits du Sud-Kivu.
De même, les FDLR ne peuvent plus compter sur l’adhésion de la diaspora rwandaise à l’étranger. En 2004, les opposants de la diaspora au gouvernement rwandais avaient déjà commencé à retirer leur soutien aux FDLR, à cause de la mauvaise gestion des fonds. À cela, vint s’ajouter le non respect du Communiqué de Rome signé en 2005 (un accord sur le désarmement du groupe et les conditions d’un dialogue inter-rwandais, jamais mis en oeuvre ), ainsi que la couverture médiatique des crimes commis par le groupe dans l’est de la RDCongo.
La direction du mouvement en exil a été émiettée avec les arrestations du Président Ignace Murwanashyaka et du vice-président Straton Musoni, en Allemagne en 2009; du Secrétaire exécutif Callixte Mbarushimana, en France en 2010 (remis en liberté par la CPI un an plus tard, faute de preuves suffisantes contre lui); et des dirigeants du réseau de la diaspora, Bernard Twagiramungu, Felicien Barabwiriza et Jean Bosco Uwihanganye, en Allemagne en 2013. Après l’arrestation de Murwanashyaka et de Musoni, la direction politique des FDLR a été assurée par les militaires vivant dans l’est de la RDCongo. Ces derniers mois, cependant, l’organisation a été renforcée par une série d’alliances avec des partis de l’opposition, le PS-Imberakuri et l’Initiative du Rêve rwandais de l’ancien Premier Ministre Faustin Twagiramungu.
Grâce à une multitude d’arrestations, d’assassinats, de défections[1] et à la diminution de l’accès aux revenus, au début de 2012, les FLDR / FOCA étaient dans un état de crise. Bien que la guerre contre la rébellion du M23 leur ait offert un bref répit, les attaques menés par les Raïa Mutomboki depuis la deuxième moitié de 2011 et, à compter de 2014, par l’armée congolaise et la MONUSCO – la mission de l’Onu en RDCongo- ont rendu la vie plus difficile aux FDLR.
En 2013, des anciens combattants ont dit au Groupe d’experts des Nations Unies que leurs conditions de vie étaient épouvantables, que le moral parmi les militants de base était extrêmement bas et que le ressentiment était élevé contre certains commandants qui possèdent des champs, tandis que les fantassins doivent piller pour survivre. Le mouvement est donc en proie à des divisions internes et la hiérarchie n’est plus capable de coordonner ou de contrôler les opérations de l’organisation. Même si les durs, comme Mudacumura, veulent continuer la lutte armée contre le Rwanda, les jeunes modérés préfèrent abandonner la lutte armée.
À la fin de décembre 2013, les FDLR ont publié une déclaration sur leur volonté de désarmer et de se démobiliser ainsi que sur leur refus de s’engager dans des opérations militaires contre les FARDC et la Force de la Brigade d’Intervention (FIB) de la Monusco. Signé par le général Major Victor Byiringiro, le document a insisté sur la requête d’un dialogue inter-rwandais. Des combattants FDLR / FOCA, cependant, ont révélé que la direction du groupe était consciente du fait que le Rwanda n’acceptera jamais de négocier avec des membres de l’ancien gouvernement.
Dans les zones qu’ils contrôlent, les FDLR ont des relations complexes avec les civils, soit avec les réfugiés rwandais, soit avec la population congolaise.
Selon le HCR, il ya encore 141.190 réfugiés rwandais en RDC et seulement 6.220 d’entre eux sont assistés par l’organisation. Il n’y a pas de camps pour ces réfugiés et beaucoup d’entre eux vivent sous l’influence des FDLR. Pour les réfugiés rwandais, l’adhésion aux FDLR est obligatoire et les jeunes hommes deviennent automatiquement soldats à l’âge de 13 ans. Le groupe maintient un contrôle rigoureux sur ces réfugiés, en leur exigeant des permis de voyage, en empêchant l’utilisation des postes radio et des téléphones pour la communication avec l’extérieur et en faisant obstacle à leur rapatriement. En échange, les FDLR promettent la protection des réfugiés contre leurs ennemis. En outre, après 20 années de survie, les FDLR se sont intégrées dans le tissu socio-économique de l’est de la RDCongo. Les FDLR se sont profondément enracinées dans les communautés locales, en particulier dans les zones à forte population Hutu congolaise, comme à Masisi et à Rutshuru. Les FDLR / FOCA collaborent avec des groupes armés congolais, dont les Nyatura et l’Alliance des Patriotes pour un Congo Libre et Souverain (APCLS), ainsi qu’avec les Forces nationales de libération du Burundi (FNL), en échangeant des fournitures et en s’entraidant lors des opérations militaires.
Du point de vue économique, de nombreux analystes décrivent le groupe comme un réseau mafieux criminel. De petites unités sont détachées par les commandants pour lever des fonds, soit par l’imposition de taxes, soit en s’engageant elles mêmes dans le petit commerce. Cela est souvent désigné par le groupe comme « logistique non conventionnelle ». Les FDLR sont impliquées dans presque tous les secteurs de l’économie rurale et dans la mise en place de barrages routiers le long des routes d’approvisionnement, en concentrant particulièrement leur activité sur la taxation et en extorquant les bien des mineurs et des commerçants. Par exemple, en 2012, les FDLR ont perçu des taxes des mineurs travaillant dans les mines de Rukatu et de Mukungwe, dans le territoire de Mwenga, pour un montant d’environ 2.000 $ par mois. Le groupe bénéficie également de revenus provenant de l’extraction de l’or dans les territoires de Lubero et de Walikale, et, dans cette activité, il collabore avec des chefs Maï-Maï, comme Sikuli Lafontaine et Hilaire Kombi.
Le groupe est impliqué aussi dans la production et la taxation du cannabis, dans l’abattage du bois, dans le braconnage et dans la production illégale de charbon de bois dans le parc national des Virunga.
Par ses activités économiques, le groupe s’est ultérieurement intégré dans le tissu de la société.
Dans les zones rurales relativement stables, les FDLR pratiquent l’élevage des animaux domestiques, comme les bovins, les chèvres, les porcs et les poulets; elles cultivent les pommes de terre et le manioc, les haricots et les légumes. Les communautés congolaises locales bénéficient de cette production, ce qui a entraîné la baisse des prix alimentaires dans certains domaines. Les dépendants des FDLR travaillent pour les habitants de la place, en fournissant une main-d’œuvre de bas coût.
Compte tenu de leur relative richesse et de leur accès aux moyens violents, dans les zones rurales les FDLR sont devenues des usuriers, prêtant de grosses sommes d’argent à des commerçants locaux. Dans les zones urbaines, les FDLR ont également investi des capitaux dans des magasins, des pharmacies et des restaurants.
Ces activités ne sont possibles que grâce à la collaboration avec les autorités locales et les propriétaires d’entreprises. À Uvira, par exemple, entre août et septembre 2013, des représentants des FDLR se sont réunis avec les dirigeants locaux et les chefs de milice pour négocier les activités économiques dans lesquelles les FDLR auraient pu s’engager. Ces activités économiques des FDLR et les alliances locales se sont développées beaucoup plus au Nord-Kivu qu’au Sud-Kivu.
Les simples combattants au sein du mouvement se sont souvent mariés avec des femmes congolaises. Des familles et surtout les enfants ne parlent plus le kinyarwanda.
Ces réseaux – sociaux, économiques et militaires – ont été forgés au cours des deux dernières décennies. L’enracinement des FDLR dans la société congolaise rend de plus en plus difficile de les éliminer, bien que le mouvement se soit fracturé et devenu plus faible qu’avant.
De leur part, les combattants du RUD-Urunana/AN-Imboneza sont déployés dans le nord du territoire de Rutshuru et au sud-est du territoire de Lubero, avec un bataillon supplémentaire à Mukwamimbi, dans le territoire de Walikale. Le General Jean-Damascène Ndibabaje (alias Musare) en est le commandant militaire général.
Les FDLR-Soki occupent une très petite zone dans le parc national des Virunga, à l’ouest de Buramba, dans le territoire de Rutshuru.
Les deux groupes ont de très limitée capacités opérationnelles. Les FDLR-Soki sont devenues une menace pour les gardes du Parc national des Virunga, et le RUD collabore souvent avec des milices locales Maï-Maï, mais aucun des deux groupes a beaucoup d’influence en dehors de leurs petites zones de déploiement.
LES OPERATIONS MILITAIRES MENÉES CONTRE LES FDLR DANS LE PASSÉ
Depuis la défaite du M23, la Monusco et l’armée congolaise ont déclaré qu’ils iraient bientôt lancer des opérations militaires contre les FDLR. Pour de nombreux diplomates, l’essentiel d’une stratégie régionale serait de mettre fin au soutien rwandais à certains groupes armés congolais, tout en abordant simultanément les problèmes de sécurité de Kigali. Tout nouvel effort, cependant, doit prendre en considération à la fois les succès des opérations passées, ainsi que l’impact désastreux que ces opérations ont eu sur les civils. Lors de la dernière grande offensive contre les FDLR en 2009, pour chaque combattant FDLR démobilisé, au moins un civil a été tué délibérément, sept femmes ont été violées, huit maisons détruites et plus de 900 personnes obligées à fuir.
Divers aspects doivent être pris en compte lors de l’analyse des différentes opérations.
D’une part, les FDLR ont appris à s’adapter aux nouvelles situations, en reculant de plus en plus vers l’intérieur du territoire, dans des zones presque impénétrables et, en même temps, en organisant de violents attaques de représailles contre les civils congolais. Le 9 juillet 2005, par exemple, les rebelles rwandais ont attaqué le village de Mamba, tuant 50 personnes, dont beaucoup d’entre elles brûlées vives dans leurs maisons.
D’autre part, au cours des différentes opérations, les FARDC aussi se sont rendues responsables de plusieurs violations des droits de l’homme. Au cours des opérations de 2004, au lieu d’attaquer les FDLR, certaines unités des FARDC se sont engagées dans la collecte d’impôts illégaux, en collaborant avec les FDLR aux barrages routiers. Pendant l’offensive de 2007, les soldats du CNDP de Nkunda, récemment intégrés dans les FARDC, ont enlevé et tué des civils accusés de collaborer avec les FDLR (principalement des rwandophones hutus).
Les dernières opérations militaires contre les FDLR sont Umoja Wetu, Kimia II et Amani Leo, menées respectivement en Janvier-Février 2009, Mars-Décembre 2009 et Janvier 2010 à 2012.
Umoja Wetu a été menée par une coalition des forces rwandaises et congolaises dans le sud du Nord-Kivu. Les FDLR ont répondu en recrutant des forces multi-ethniques de divers autres groupes armés et en s’éparpillant par petits groupes de six à huit combattants.
Kimia II a été menée par les forces congolaises soutenues par la MONUC. Les FDLR ont été délogées de leurs bases militaires et politiques de Masisi et de Lubero, des leurs bastions ainsi que des zones commerciales, fiscales et minières. Cette opération, ainsi que les campagnes médiatiques de la MONUC, ont provoqué la défection de près de 1.500 combattants, 2.000 dépendants et 13.000 réfugiés.
Les coûts humanitaires de ces victoires, cependant, ont été dévastateurs. Les représailles et les
attaques menées par les FDLR sont devenues de plus en plus brutales. Des éléments des FARDC aussi ont commis des massacres et des violations flagrantes des droits de l’homme contre les populations civiles, en particulier contre les Hutu congolais et les communautés des réfugiés rwandais. À la fin de 2009, les déplacés dans les Kivus étaient 1.250.000.
Au cours de l’opération Amani Leo, les opérations militaires ont porté sur le nettoyage des zones stratégiques d’où les FDLR avaient été délogées et de celles où les troupes des FDLR avaient tenté de se regrouper. On a apporté aussi une aide aux autorités congolaises, afin d’établir la présence de l’Etat dans ces endroits. Toutefois, l’opération n’a pas empêché la poursuite d’une campagne de terreur et de représailles.
Malgré les multiples défauts, cette série d’opérations a décimé les rebelles. La taille des FDLR est passée de plus de 6.500 combattants à environ 1.800, tandis que celle du RUD est passée de 400 combattants à moins de 100. Tout au long de ces opérations, les taux de démobilisation s’est multiplié par trois et 5.000 membres ont été rapatriés. En outre, les opérations ont empêché le recrutement à grande échelle, la cohésion interne du groupe, désormais fracturé et avec le moral affaibli.
POSSIBLES STRATÉGIES POUR RESOUDRE LA PROBLÉMATIQUE DES FDLR
Il n’y a pas de solution miracle pour traiter la problématique des FDLR. L’organisation a des racines profondes dans la société locale et dispose d’un noyau dur de dirigeants déterminés et expérimentés. Néanmoins, le groupe a été durement frappé par les défections et les assassinats et il est maintenant sur le point de s’effondrer.
Impliquer les FDLR
L’histoire brutale du groupe montre que les opérations militaires ont un coût humain énorme. Des options pacifiques doivent donc être prises en considération. Pour cela, l’on devrait évaluer les avantages potentiels de discussions techniques avec les FDLR, pour promouvoir leur désarmement – rapatriement – réinstallation dans leur Pays d’origine ou, le cas échéant, leur installation dans des Pays tiers (en dehors de la RDCongo) prêts à les accueillir.
Pays tiers d’accueil
Alors que le Communiqué de Nairobi de 2007, avait proposé la réinstallation des troupes des FDLR et de leurs familles au Congo, cette option n’a jamais été exécutée, car il y a trop de méfiance de la part des FDLR et les dirigeants congolais locaux ne sont pas prêts à les accueillir. C’est pour ça que l’on devrait prendre en considération la possibilité d’une réinstallation dans un pays tiers. Seraient éligibles les officiers des FDLR qui n’ont pas commis de crimes graves, ni au Rwanda, ni en RDCongo. Cette option pourrait encourager les défections. Les Nations Unies et l’Union Africaine devraient aborder la question avec les autres gouvernements.
Le renforcement du processus de démobilisation
Le programme DDRRR des Nations Unies doit être maintenu et renforcé. Des campagnes de sensibilisation pourraient être renforcées, grâce à la collaboration avec les organisations de base et les églises locales.
L’on devrait placer les antennes de démobilisation dans des endroits clés, pour fournir des quantités suffisantes d’eau et de nourriture et pour assurer la protection et la sécurité.
Sur la situation au Rwanda, souvent les commandants des FDLR disent aux combattants et à leurs dépendants que tous ceux qui ont été rapatriés ont été emprisonnés ou tués et que les déclarations des collègues démobilisés, desservant maintenant dans des postes supérieurs dans l’armée rwandaise (RDF) et les rapports présentés lors des campagnes de sensibilisation de la Monusco sont faux.
Le Gouvernement rwandais devrait alors offrir des garanties crédibles pour assurer que les combattants démobilisés ne seront pas emprisonnés, ou tués, ou redéployés en RDC contre leur volonté, ou réintégrés dans une autre milice. Par exemple, tout au long de 2013, des ex-combattants des FDLR ont été recrutés de force dans le Centre de démobilisation de Mutobo, au Rwanda, pour être renvoyés en RDCongo pour combattre dans les rangs du M23. La poursuite du financement du programme rwandais de démobilisation devrait être subordonnée à une meilleure surveillance et au suivi des ex-combattants qui y sont stationnés.
Il y a, enfin, un groupe de personnes qui ne veulent pas rentrer au Rwanda, non parce qu’ils ont participé au génocide et doivent, donc, faire face à la justice, mais parce qu’ils se sont effectivement enracinés dans la société locale congolaise. Certains étaient des enfants quand ils ont quitté le Rwanda et ils ont grandi en RDC, tandis que d’autres y sont nés. Des combattants rwandais ont épousé des femmes congolaises et ont des enfants qui ne parlent pas le kinyarwanda. Pour ce petit groupe, des solutions alternatives pourraient être envisagées, pour leur permettre de se démobiliser et de s’installer légalement, au cas par cas, en RDCongo. Ce groupe serait composé de simples soldats de rang et d’officiers subalternes. Les officiers supérieurs pourraient être réinstallés dans un pays tiers ou retourner au Rwanda.
La justice face aux crimes des FDLR
La grande majorité des FDLR n’est pas impliquée dans le génocide rwandais de 1994. Selon certaines estimations, seulement 10 pour cent du commandement supérieur serait coupable de génocide. Toutefois, cela ne signifie pas que beaucoup de ces soldats ne seraient pas coupables de
crimes de guerre et de crimes contre l’humanité commis en RDCongo. Ceux-ci devraient être poursuivis. Cependant, actuellement, dans l’est de la RDCongo, il n’y a pas de mécanismes de justice crédibles et les tribunaux locaux manquent de personnel et de ressources.
Cela rend d’autant plus nécessaire que des chambres spécialisées soient mises en place au sein du système judiciaire congolais, pour faire face aux crimes commis par les FDLR, ainsi que par tout autre groupe armé. Une loi sur cette mesure est actuellement à l’étude au Parlement.
S’attaquer aux réseaux socio-économiques d’appui aux FDLR
Les FDLR survivent grâce à leurs racines dans les réseaux socio-économiques congolais. Il serait nécessaire rompre ces liens pour empêcher ou, au moins, limiter l’accès du groupe aux ressources. Cela concerne, en premier lieu, les relations entre les éléments des FARDC et les FDLR. Ces liens sapent la neutralité de l’armée, renforcent son comportement abusif et diminuent l’efficacité de ses opérations militaires. Pour rompre ces liens, le gouvernement congolais devra imposer des sanctions efficaces aux membres des réseaux de soutien aux FDLR, soient-ils des officiers des FARDC, des entrepreneurs ou des personnalités politiques. Les officiers de l’armée qui, d’une certaine façon, collaborent avec les FDLR, devraient être poursuivis et punis, ou redéployés dans une autre partie du Pays, selon le degré de leur collaboration. Une première étape pourrait être la création d’une commission militaire spéciale pour enquêter et punir la collaboration avec les groupes armés, y compris les FDLR. Simultanément, une commission parlementaire d’enquête pourrait également examiner ces réseaux de soutien, en contribuant ainsi à l’amélioration de la surveillance civile sur les forces de sécurité, ce qui fait actuellement défaut en RDCongo.
Options militaires
Probablement, il faudra recourir aussi à des opérations militaires. À ce propos, le mandat de la Force de la Brigade d’Intervention de la Monusco est clair.
Il sera aussi nécessaire tenir compte de certains détails. Il est certain que les FDLR ne s’engageront pas dans des combats directs sur le terrain. Au lieu de cela, leurs troupes chercheront refuge dans les denses forêts plus à l’intérieur, ce qui constitue un terrain difficile, et utiliseront la stratégie des représailles et des attaques contre les civils, comme levier pour obliger l’armée et la Monusco à suspendre leurs opérations. Dans ce contexte, l’on devrait cibler les centres nerveux de l’organisation et prendre des précautions pour protéger les civils, en garantissant leur sécurité.
L’efficacité des opérations militaires dépende, entre autre, de la précision des renseignements. Les informations devraient donc être effectivement partagées entre la Monusco et le Gouvernement congolais et entre la Brigade d’intervention de la Monusco et l’armée congolaise.
La question des réfugiés rwandais
Des milliers de réfugiés rwandais sont encore sur le sol congolais, et beaucoup d’entre eux sont pris en otage par les FDLR. Au cours des dernières années, il y a eu peu d’efforts pour leur fournir une assistance humanitaire et leur garantir la sécurité. Des mesures devraient être prises pour encourager le gouvernement congolais et le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR) à accepter le principe de l’établissement de camps de réfugiés sur le sol congolais. Il y a actuellement des sites de transit du HCR dans certains endroits, mais ceux-ci sont souvent placés loin des lieux où se trouvent les réfugiés, ou ils ne sont pas bien protégés, ou ils ne sont pas bien annoncés. Compte tenu de l’histoire controversée des camps des réfugiés rwandais dans l’est de la RDCongo (en particulier entre 1994 et 1996), l’Organisation des Nations Unies devrait prendre des mesures fortes pour prévenir toute militarisation de ces camps, éviter le contrôle des FDLR sur ces camps et s’assurer que ceux-ci soient situés à une distance sécuritaire de la frontière rwandaise. Cela pourrait contribuer à préciser le nombre et le statut des réfugiés rwandais et serait, pour eux, une occasion de rompre les liens avec les FDLR.
CONCLUSION
Le plus grand défi sera de trouver une juste complémentarité entre les options pacifiques et celles militaires. Dans le passé, les offensives contre les FDLR ont provoqué des catastrophes humanitaires. Les nouvelles opérations doivent en tenir compte et les diplomates devraient privilégier les voies pacifiques. Cela permettrait de renforcer les efforts de désarmement, démobilisation et rapatriement des FDLR, de sanctionner les personnes, en particulier les officiers militaires congolais coupables de collaboration avec les FDLR et de trouver aux commandants des FDLR, qui ne sont pas accusés de crimes de guerre, un exil dans un pays tiers, en dehors de la RDCongo.
La démobilisation des FDLR ne serait pas seulement une victoire pour la population locale, mais elle ouvrirait la voie à une stabilisation plus large des Kivus, où de nombreux groupes armés collaborent avec les FDLR et elle pourrait favoriser l’ouverture d’un espace politique bien nécessaire au Rwanda. Les obstacles, cependant, sont encore nombreux.
[1] Consulter la liste des assassinats et des défections des membres de haut rang des FDLR au cours des années 2009-2013 publiée dans le texte complet en anglais, pages 6 et 7.